Événements scientifiques

Synthèses du colloque NUP


Session 1 
Les constructions agriurbaines et jardinières en Europe,

Cette session a permis d’éclairer le phénomène d’agriurbanisation des régions métropolitaines en Europe de l’Ouest, de Lille à Paris, Genève, Grenoble, Montpellier et Lisbonne. L’agriurbanisation désigne un processus récent d’émergence de différentes formes d’agricultures urbaines et de jardinages urbains dans le tissu des agglomérations et dans leurs périphéries. Leurs productions s’inscrivent dans des territoires urbanisés, alimentent les marchés ou directement les citadins à partir des jardins, et concernent soit des exploitants agricoles professionnels, soit des jardiniers amateurs. Sont communs à tous ces producteurs de végétaux et d’animaux, des sols cultivés selon des finalités commerciales ou non.

À l’origine du phénomène de réagricolisation de la ville en Suisse, Joelle Salomon Cavin et Marion Erwein identifient l’idée de ville stérile et stérilisante, dangereuse et prédatrice. À la ville ainsi diabolisée, elles opposent celle de ville rassurante, fertilisée par les agriculteurs, de ville habitable où les produits agricoles sont proches et sains, de ville apaisée où les formes de la nature cultivée et jardinée expriment un idéal de campagne nourricière sans commune mesure avec l’espace agroindustriel de l’agriculture dite conventionnelle. Cette idéologie serait une forme de la nouvelle alliance entre ville et nature, qui alimenterait le mythe d’une « ville fertile » ayant la capacité de régénérer un milieu urbain devenu inhabitable.
Une autre source de l’agriurbanité en construction est fournie, de la même façon, par les utopies des théoriciens de la ville du siècle dernier. Andreia Cardoso et Pierre Donadieu évoquent les figures de Ebenezard Howard (1850-1928), le penseur des cités-jardins, de l’architecte américain Franck Lloyd Wright (1867-1959) et de l’animateur du mouvement Arts and Crafts que fut le théoricien anglais William Morris (1834-1896). S’il est vrai que c’est la figure idéale du jardin qui inspira souvent les modèles de ville et de société de ces théoriciens, celle de la campagne, également rêvée, demeurait l’arrière-plan nécessaire aux sociétés et aux villes qu’ils ont imaginées.
Aujourd’hui la lecture des formes agricoles dans les régions métropolitaines révèle deux modèles de villes ou de quartiers urbains (P. Donadieu). Dans les régions urbaines se localisent des agricultures (céréalières, maraîchères, laitières, fruitières, ornementales) d’agriculteurs professionnels, d’entrepreneurs agricoles et non de jardiniers. Elles produisent des biens alimentaires (ou non) pour la ville proche, pour les marchés nationaux ou pour l’exportation. Leurs productions peuvent totalement ou en partie tourner le dos à la ville proche (céréales, viticulture) ou approvisionner seulement les marchés de proximité (circuits courts de légumes, fruits, lait, œufs, etc.) ou se situer entre ces deux pôles. 
De  manière complémentaire à la ville agricole, dans la ville jardin, avec les jardiniers, se localisent à la fois des jardins nourriciers (jardins ouvriers, jardins familiaux) et des jardins ornementaux ou de loisirs (espaces verts) fournisseurs de services écologiques et paysagers ( des spectacles et des lieux de nature) à la ville. Entre ces deux pôles les jardins communautaires ou partagés sont hybrides, ils sont le plus souvent à la fois nourriciers, d’insertion sociale, de convivialité voire de résistance à la ville excluante. C’est de leur côté qu’apparaît timidement une ville agroécologique (agriculture biologique, organique, intégrée), en rupture avec l’agriculture conventionnelle. 

À Lille, Nicolas Rouget montre le rôle capital des pouvoirs politiques urbains pour rapprocher les agriculteurs des citadins, pour mettre en scène, pour publiciser (paysager) les espaces agricoles  dans les parcs naturels périurbains comme celui de la Deûle où se mêlent natures sauvages, aquatiques, agricoles et jardinières. Il met en lumière le rôle des figures politiques locales et les trajectoires des agriculteurs reterritorialisés : occultation, spécialisation, diversification et conversion, souligne la dynamique de reconnaissance mutuelle entre agriculteurs et pouvoirs publics, mais insiste sur la mobilisation faible des exploitants (7/52 dans le parc de la Deûle) car la majorité sont, notamment pour la production des endives, portés par un marché national et international.
En ayant recours à des comparaisons statistiques, Jean-Baptiste Traversac indique qu’en France la moitié des exploitations agricoles sont situées dans des régions urbaines. Dans l’ensemble géographique du Bassin parisien 18 à 20 % des agriculteurs ont disparu depuis dix ans, et d’autant plus rapidement que la distance aux agglomérations augmente. Les AMAP maraîchères et fruitières maintiennent des points de vente près des villes mais les exploitations productrices peuvent s’éloigner jusqu’à 150 kilomètres de Paris.
En analysant, à la faveur d’un concours d’idées d’urbanisme, les relations entre maraîchers et habitants dans la Boucle de la Seine à Triel-sur-Seine, Valérie Helman montre que les craintes  (vols et dépôts d’ordures dans les champs) et la méfiance des producteurs persistent. Leur situation économique reste précaire en l’absence d’aides de la Politique Agricole Commune et de protection stricte des terres. Le projet agriurbain, prenant en compte un corridor vert entre massif forestier et fleuve peine à s’articuler avec les pratiques agricoles actuelles. Il en est de même à l’échelle de la région urbaine de Lisbonne (Andreia Cardoso).
C’est à Grenoble que les idées de nature des habitants apparaissent directement liées à la montagne environnante, forestière et agricole (Antony Tchekemian). Les pratiques de nature des Grenoblois concernent à la fois les loisirs (ski, promenades équestres et à cheval, randonnée, escalade) et les résidences secondaires et principales. Pour répondre à ces demandes plus ou moins saisonnées, de nombreuses exploitations agricoles diversifient leurs activités productives (fruits et légumes, fromages, viande, volaille, etc.) en fournissant également des services localisés de loisirs (hôtellerie, ferme pédagogique, animation nature, restauration à la ferme).
Dans les jardins de Marseille et de Montpellier, situés dans le tissu urbain, les agriculteurs disparaissent et laissent la place aux jardiniers. Leur demande de natures prend la forme de petits jardins, en général mis à disposition par les municipalités. Les jardins collectifs de Marseille (Jean-Noël Consales)  regroupent des jardins familiaux, partagés ou d’insertion. Certains ont été créés à l’époque du gouvernement de Vichy, d’autres sont liés à des sites particuliers, parfois recréés et aménagés par les pouvoirs publics. Tous résultent de projets associatifs ou citoyens relayés par la municipalité et qui font des jardiniers des acteurs culturels : des « paysagistes médiateurs » producteurs de natures urbaines singulières. À Montpellier (Pascal Scheromm), la municipalité a été en 2004 à l’origine de la création des jardins collectifs en répondant à une demande citadine de lieux de reconnexion avec la nature jardinée (plaisir, bien-être personnel) plus que de production alimentaire. Dans les deux cas les jardins apparaissent comme des facteurs importants de résilience de certains habitants face à des crises urbaines et sociétales chroniques.
L’ensemble des interventions confirme plusieurs idées dans ce domaine de recherches qui a émergé en France depuis vingt ans. D’abord la réagricolisation de la ville ne va pas de soi et peine à faire partie des projets urbains (plans locaux d’urbanisme). En revanche elle s’inscrit plus facilement dans les projets territoriaux (schémas de cohérence territoriaux, parc naturels régionaux) en privilégiant l’échelle géographique de la région urbaine (l’espace non construit qui est fonctionnellement nécessaire à la résilience des habitants d’une agglomération ou d’une conurbation)
Dans l’espace métropolitain le concept d’agriurbanité pourrait rendre compte à la fois du désir des citadins de vivre ensemble localement (entre eux, et avec les agriculteurs et les jardiniers), de la matérialisation des lieux concernés (les champs, les jardins), et des biens et services échangés. Il s’opposerait alors à une « ruralité agricole » centrée sur le monde de l’entreprise agricole et des marchés internationaux et nationaux. L’agriurbanité aurait la possibilité de s’étendre à la totalité des campagnes « urbaines » comme la ruralité agricole de rester autour des villes.
Enfin, il faut noter que, dans les débats, l’idée du type d’agriculture souhaitable pour l’alimentation et les services écologiques et sociétaux a peu émergé, comme si entre l’agriculture conventionnelle et les jardins collectifs, une fracture sociale était consommée, comme si entre la ville agricole et la ville jardin, la ville agroécologique pensée par les agriculteurs avec et pour les citadins était encore bien hésitante. 

Session 2
Organicité et soutenabilité des natures-villes,
par Sylvie Pouteau (IJPB, INRA-AgroParisTech, Sylvie.Pouteau@versailles.inra.fr)

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La nature urbaine change la question de la nature : désormais la nature n’est plus une nature lointaine, utopique, nous ne sommes plus extérieurs à la nature, « nous en sommes». Réciproquement, la question de la nature permet d’introduire les concepts de l’écologie et de la biologie en ville : la nature urbaine n’est pas seulement un ensemble d’objets et de lieux agencés avec plus ou moins de bonheur, mais un système écologique, une trame vivante, un processus dynamique. La session 2 nous parle moins de villes habitant la nature (campagne) ou de nature habitant les villes (rats ou arbres) que d’intrication, de co-extensivité, de co-construction écologique et biologique, elle nous invite à repenser l’homéostasie des milieux « naturbains » à des échelles allant du plus local au territoire national.

La nature dans ses registres habituels de biodiversité, de milieux, d’écosystèmes, d’éléments physiques, d’échanges et de rythmes, occupe la ville autant que la campagne, ou l’autre nature, la nature dite naturelle. Elle influence ou affecte la vie des citadins, en positif ou en négatif, et l’on ne peut s’y intéresser sans que surgisse aussitôt la dimension sociale de la nature : l’écologie urbaine est aussi une écologie humaine, inséparable des modes de vie des habitants, de leur bien être, de leur participation à la trame vivante de leur existence. La nature urbaine implique donc (au moins) deux choses : i) passer d’une logique d’objet (e.g. du mobilier végétal) à une logique de système (dont nous faisons partie), et ii) passer d’une logique planificatrice (modèle top-down) à une logique pragmatiste intégrant la demande sociale et la participation des habitants (approche bottom-up).

Plus proche de nous que la nature souvent rapportée à une utopie idéalisée, le vivant traduit ici le caractère systémique et mouvant des circulations et des flux d’étants et d’états naturels. Ainsi, la biodiversité se fraye un chemin le long des trottoirs et des fleuves, par toutes les voies de circulation et les porosités de la ville. Au lieu de morceaux isolés, la biodiversité se pense en linéaire – coulées, corridors et « pénétrantes » – suivant les berges et voies d’eau lyonnaises par exemple (cf. Laurène Wiesztort), ou les rues de Paris et des grandes villes de France (cf. Gabrielle Martin & Nathalie Machon), ou bien donnant lieu à de nouvelles cartographies de la ville comme écosystème selon la pensée écologique de Ramon Margalef, comme à Barcelone (cf. Marti Boada, Sonia Sanchez, Roser Maneja, Diego Varga & Carles Barriocana). En toute logique, l’énergie du milieu vivant se déploie au-delà des infrastructures et réseaux technologiques : photosynthèse, évapotranspiration, fermentation etc. mettent en mouvement des potentiels d’action hydrodynamique, aérodynamique, photochimique, thermique etc., qui recomposent continûment le milieu énergétique naturel des villes et ses potentialités de restitution, de renouvellement et de sobriété (cf. Daniela Perrotti & Sylvie Pouteau). Exemple encore plus emblématique : la nuit n’est évidemment pas assignable à un lieu, et la pollution lumineuse d’une grande métropole peut s’étendre sur des dizaines de kilomètres à la ronde. L’excès de lumière affecte non seulement notre relation psycho-symbolique avec le cosmos étoilé, mais aussi notre relation biologique aux rythmes photopériodiques et saisonniers (et celle des autres vivants), laissant apparaître des corrélation positives avec des pathologies qui vont de l’insomnie au risque de cancer (cf. Thomas Le Tallec).

L’image de la ville dense, centralisée (« copernicienne »), bétonnée est en train de se recomposer (concrètement et psychologiquement) et de se dissoudre : la ville s’étale, se détend, se fluidifie, coule… Dans cette recomposition, il s’agit de canaliser des débordements, mais aussi de repenser la continuité à partir des périphéries, des bordures, des trouées, des mailles : suivre des trames, des nodules, des trottoirs. Tout peut se penser en termes de connectivité, de flexibilité, de perméabilité, d’organicité. Il s’opère ainsi une transposition symbolique et épistémique des représentations écologiques ou botaniques vers la ville, une transposition qui rencontre la réalité concrète inscrite dans l’histoire botanique et biologique qui façonne les villes (cf. Maria Villalobos & Carla Urbina). Le projet de paysage est influencé, façonné par la taxonomie et par l’infrastructure écologique native, et réciproquement.

Plus ou moins spontanément et entropiquement, la ville se redonne de la nature en se fragmentant et en se laissant coloniser par les herbes des trottoirs (cf. Gabrielle Martin & Nathalie Machon). Dans un souci de soutenabilité, on peut vouloir favoriser cette natura(lisa)tion de façon plus ou moins planifiée, en injectant des recharges de biodiversité (cf. Marti Boada, Sonia Sanchez, Roser Maneja, Diego Varga & Carles Barriocana), ou en traçant des trames et des travées (cf. Laurène Wiesztort), ou encore en cartographiant la structure nationale des plans de paysage et de nature comme au Portugal (cf. Manuela Magalhaes, Natalia Cunha, Selma Pena & Ana Müller). A l’échelle de la planète selon les rapports du WWF, la pensée de l’aménagement urbain écologique n’est plus à la programmation selon des modèles supposés vertueux de développement durable et semble  aujourd’hui se tourner vers l’émergence spontanée, ou incitée, de solutions nées de configurations locales et de pratiques d’apprentissage (cf. Gwenaëlle Ramelet). 

Le citoyen s’intéresse à la nature naturante (spontanée) dans les fissures de la ville et le politique/l’aménageur se préoccupe de la nature sur-naturante (planifiée) à une échelle plus englobante. A l’interface, ces logiques d’acteurs se rencontrent par l’intermédiaire de la science d’une part, et de l’art d’autre part, qui se font lieux de débat et de médiation naturbaine (cf. Daniela Perrotti & Sylvie Pouteau). La refonte de la pensée de la ville et de la nature fait bouger les lignes, induisant une dissolution des frontières entre catégories communes : social/nature, science/art, faits/valeurs, pensée/action. A partir d’une base naturaliste, il s’agit épistémologiquement d’une sortie de la modernité. L’émergence et la re-création d’une épistémologie se présente ainsi comme une nouvelle utopie, qui n’est plus celle d’un objet – la nature – mais d’une méthodologie adaptée à la réalité vivante, mouvante de la nature habitée, une réalité perméable, flexible, organique, en process, et qui pourrait s’énoncer ainsi : penser la ville comme un jardin selon la proposition de Roberto Burle Marx (cf. Maria Villalobos & Carla Urbina). 

Finalement, il s’agit à travers cette approche écologique-biologique-botanique de la nature urbaine de recomposer l’unité de l’existence terrestre, de ré-intégrer la nature à sa juste place dans la vie humaine, d’englober les divers systèmes de nature et de vivant dans un ensemble qui se traduit aussi bien en termes de connectivité écologique que de lien entre acteurs. D’où une dimension publique, participative, éthique, et politique, et non seulement technique et scientifique des enjeux, d’où l’importance du débat et de la médiation. Non plus victimes ni coupables des dégradations écologiques, les villes et leurs habitants seraient ainsi en train de devenir les nouveaux acteurs pour des changements globaux à l’échelle planétaire.


Session 3
Retour sur l'esthétique : perceptions, représentations, projections de l’urbain et sa nature
par Daniela Perrotti (UMR SAD-APT INRA/AgroParisTech, daniela.perrotti@mail.polimi.it)

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Les travaux de la session 3 relèvent d’une diversité et transversalité d’approches, qui représentent autant de manières différentes d’interroger les rapports à la nature en ville ou à la nature de la ville. Le fil rouge reliant l’ensemble des contributions se situe dans une attention commune portée à l’analyse des relations esthétiques, sensorielles et socio-politiques construites dans l’espace et dans le temps entre ces natures et leurs habitants, créateurs, ou concepteurs.  

Les travaux de la session ont démarré par une présentation commune à la session 2, au cours de laquelle Daniela Perrotti (UMR SAD-APT INRA/AgroParisTech) et Sylvie Pouteau (UMR IJPB, INRA/AgroParisTech) ont exposé les premiers résultats d’une expérience de recherche-action, Le vivant et son énergie, en cours au centre INRA de Versailles-Grignon. Fondée sur une réinterrogation et une reformulation des liens entre énergie et société par l’intermédiaire du vivant, la recherche-action se donne comme objectif l’élaboration d’un dispositif d’apprentissage collectif de l’énergie mobilisée dans et par le milieu vivant. Le principe adopté est celui de l’induction et repose sur la participation et l’interaction d’une diversité d’acteurs : chercheurs, enseignants, étudiants, artistes, professionnels, collectivités locales, habitants. Les premières étapes du déroulement de cette expérience ont été restituées à travers une présentation en images des deux types d’actions engagées: les créations retenues dans le cadre d’un appel lancé en direction de jeunes artistes impliqués sur les questions environnementales, et les contenus d’un atelier transdisciplinaire de conception ouvert à des étudiants en beaux-arts et architecture, de l’EBA de Versailles et des ENSA de Paris-La Villette et de Versailles. 
Au centre de la deuxième intervention par Théa Manola (Institut d’Urbanisme de Paris), les rapports sensoriels et sensibles entre habitants et épisodes de nature, dans les projets de trois quartiers « dits durables » : WGT à Amsterdam, BO01 et Augustenborg à Malmö. Au fil de l’enquête menée par l’intervenant dans le cadre de son travail de thèse, la nature en question se révèle porteuse de sens et de sensorialité. Elle a été mobilisé, identifiée et décrite par les habitants à travers ses objets (arbres, oiseaux, eau, « vert »…) ou les idées qui lui sont associées (intimité, liberté…). Dans ses différentes formes et expressions, végétales autant qu’animales, cette nature urbaine confère, d’une part, une identité paysagère et sensorielle aux éco-quartiers analysés. D’autre part, elle semble normaliser les espaces urbains ainsi que les architectures de ces nouveaux quartiers. Cette nature se qualifie par les pratiques auxquelles elle est associée et les représentations et les vécus dont elle est le fruit. Porteuse de valeurs écologiques et environnementales, elle s’articule sous la forme d’une nature mise en projets, participant des processus de requalification et d’aménagement territoriale. Vecteur des valeurs d’usage, la nature urbaine en résulte finalement plus proche du paysage, par les pratiques qui lui sont associées et les rapports sensoriels dont elle est porteuse, que d’une Nature mythisée ou patrimonialisée. 
Daphné Vialan (Université Lumière Lyon II) nous a présenté un protocole de recherche basé sur l’observation non-participante et participante, des entretiens et des cartes mentales, voué à analyser et restituer l’expérimentation sociale de la nature dans la Ferme des Meuniers en Val de Marne.
Ni le désir de nature, ni la recherche d’un rapport renouvelé à l’environnement semblent être à l’origine de cette expérience, qui découle plutôt de la recherche de nouvelles formes d’implication sociale et d’engagement citoyen par et pour l’action. La demande sociale à l’origine de la création de ce lieu d’échange, de co-construction et de partage à différents niveaux (production d’énergie, permaculture, ateliers de cuisine, auto-construction et construction bio-climatique) s’articule sous la forme d’une « question sociale ». Elle interroge la relation dynamique de l’individu à son milieu par une identification réciproque entre habitants-acteurs du projet et lieu d’expérimentation. A cause ou grâce à une « non-intentionnalité » de la nature, cette relation donne lieu à un nouveau habiter environnemental, ancré dans une connaissance impliquante et une conception de l’environnement par l’engagement.

Si la première partie de la session a été principalement consacrée aux relations sensorielles et socio-politiques tissues entre nature urbaine et ses habitants, relations à et par la nature, dans les deux contributions de la première partie de l’après-midi, la nature en ville laisse la place à l’espace public urbain, à ses représentations in visu et in situ.
Marc-André Brouillette (Université Concordia de Montréal) nous a proposé une exploration de la place de l’art dans le paysage urbain contemporain à travers deux installations in situ de l’artiste québécois Michel Goulet en France : Voix/Voies dans les jardins de l’hôtel Dubocage de Bléville, au Havre (2012), et Alchimie des ailleurs, sur le quai Arthur-Rimbaud à Charleville-Mézières (2011). Dans les deux œuvres, des vers poétiques habitent des éléments du mobilier urbain, des chaises, objets du quotidien qui représentent en même temps un appel au corps et à l’architecture. La lecture des poèmes gravés sur les chaises, objets trouvés sur le chemin du promeneur urbain, inattendus et nichés dans des lieux insolites, devient métaphore d’une relecture du quotidien, de sa temporalité et spatialité. Sa temporalité intercepte et englobe en son sein les temps de l’écriture, de la lecture et de la fréquentation de l’espace de l’œuvre. Sa spatialité est celle d’un lieu connu et habituellement fréquenté et, au même temps, celle du siège de la chaise qui devient un observatoire de l’environnement urbain. Les œuvres de Michel Goulet donnent ainsi lieu à une « relation géante » entre auteurs (de l’œuvre et des vers), lecteurs et passants, ainsi qu’entre le lieu de l’installation et l’ensemble de la ville. Par de-là la simple coexistence, un « nœud de correspondance » est tissu entre temporalités et spatialités différentes au sein du même espace urbain.
Aline Gheysens (ENSP de Versailles) nous a introduit dans l’univers urbain et périurbain de la photographe française Valérie Jouve, où la photographie devient une manière d’interroger les mythes urbains proposés par l’art. Offrant une vision mécanique du monde, la photographie semble bien s’adapter à la machine urbaine dans l’œuvre de Valérie Jouve; elle donne lieu à une restitution in visu de l’espace de la ville qui témoigne de l’incessante activité productive de celle-ci. Habitants et usagers de cet espace se croisent, ainsi que leur trajectoires de déplacement ; ils établissent de différentes relations à ces lieux urbains qui servent de support à leur mouvement, relations fondées sur une logique d’adhérence ou de résistance. Les « adhérents » aménagent leurs présences et leurs postures dans un rapport de mimétisme à leur environnement urbain, une dissimulation qui devient stratégie de défense. Les « résistants » sont issus d’un effort de démarcation par rapport à leur contexte ; corps vivants, ils provoquent par les couleurs et les odeurs dégagées, s’appropriant ainsi des caractères animaux autant que végétaux. Cette exubérance chromique et olfactive compense l’absence de la nature dans les images photographiques. En effet, le vivant semble avoir déserté la ville, ainsi que la cosmicité, dont l’absence nous est rappelée par la disparition des lignes de démarcation entre ciel et sol. Dans la série consacrée aux villes orientales (Jérusalem, Ramallah), ville et campagne se fondent, et le minérale reste le seul témoin d’un ordre antérieur de la ville.

Dans la partie finale de la session, les vers et les fragments de ces représentations de l’urbain laissent la place à une approche interscalaire de la nature en ville, relevant d’un télescopage d’échelles : de celle en grandeur réelle de la marche, à celles, différentes, du plan urbain et territorial. 
Edgard Vidal (CRAL-EFISAL) propose une réflexion épistémologique sur la trame complexe des interrelations entre ville et nature qui nous introduit dans les interstices des trottoirs de Montevideo. Ici le détail devient indice de cette complexité, indice-interstice laissant entrevoir une nature qui se crée par elle-même. C’est au promeneur prêt à changer ses lunettes rayées par le quotidien que cette vision nouvelle de la nature en ville s’offre, vision découlant d’une réflexion qui inclut le détail dans une vue panoramique, ou qui, en d’autres termes, invite à penser ensemble le détail et (son) paysage. Le paysage comme totalité donnée à voir par la macro-logique associée aux concepts, méthodes et outils de représentation de l’écologie du paysage, ne semble, au fond, pas incompatible avec une vision plus microscopique des écosystèmes végétaux et aquatiques en ville. En se glissant sous les dalles des trottoirs, mauvaises herbes et eaux de ruissellement finissent par nous faire percevoir une terre libérée du béton de ces dalles. Une nouvelle nature, aux chemins détournés et imprévisibles, se récrée progressivement sous les débris de la ville. Elle nous interpelle, et devient l’occasion de changer notre manière d’appréhender le réel par une vision globale et sérialisée, vision qui finit par devenir globalisante et créatrice d’un panorama (trop) logique…
Les travaux de la session se sont achevés avec la communication de Catherine Maumi (ENSA de Grenoble). Le projet Broadacre City de Frank Lloyd Wright est le support d’une réflexion sur un nouveau mode de concevoir et d’habiter le territoire de l’urbain allant au-delà des cloisonnements artificiels, mentaux et architecturaux, entre ville et campagne. Projet de « réintégration architecturale de tous les éléments en un seul tissu », Broadacre City propose une vision alternative à la dissolution de la grande ville, tissu cancéreux et périmé selon Wright et qui appelle à l’anticipation et à la prévention de l’étalement du sprawl. Le projet de Wright, où le « paysage devient architecture et l’architecture paysage » représente tout d’abord un projet politique, visant à ancrer le développement territorial des années 30 et 40 aux Etats-Unis dans une vision démocratique. Broadacre City incarne une vision de la démocratie envisagée non pas seulement comme forme gouvernementale, mais comme adoption d’un mode de vie. Wright met ainsi en avant une pensée de l’architecture inscrite dans l’idéal progressiste aux Etats-Unis, une pensée de la décentralisation où l’approche organique de l’architecture s’étend à l’ensemble du territoire. Une approche qui matérialise un tout organique, composé de structures équitablement distribuées dans le territoire : un middle landscape visionnaire qui réinterroge - encore à présent - les relations socio-économiques et politiques entre urbanité et ruralité.


Session 4
La forme urbaine
par Chiara Santini (ENSP de Versailles, c.santini@versailles.ecole-paysage.fr)

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La session présidée par Bernard Declève et Nicole Valois s’est concentrée sur les formes de la nature urbaine et sur leurs évolutions dans une perspective de longue durée historique. Elle s’est organisée autour de dix interventions qui ont porté sur des cas d’études français et internationaux (Algérie, Brésil, Canada, Portugal) entre XIXe et XXe siècle.
Bien qu’hétérogènes quant aux contenus et aux démarches disciplinaires, les diverses contributions ont mis en lumière des questionnements communs, ou mieux, des thématiques transversales qui ont constitué le cœur du débat. 

La première de ces thématiques transversales concerne la durée des structures, c’est à dire l’héritage paysager, la durabilité des formes historiques de la nature urbaine. Comment, et avec quels instruments, on peut intégrer et développer dans le cadre des politiques écologiques contemporaines les trames et systèmes verts que le passé nous a légués? Comment ces réalisations peuvent aujourd’hui répondre à une demande sociale inévitablement différente par rapport à celle qui a présidé leur création ? Comment sensibiliser les usagers à la compréhension de ces espaces et à leur valorisation ? Les réponses avancées semblent aller dans le sens du développement des connaissances historiques et de la mise en place d’instruments adaptés pour l’évaluation de la qualité paysagère (en particuliers pour les sites qui pendant longtemps n’ont pas eu une allure « patrimoniale » : les campus universitaires, des petits squares et places de quartier, les jardins des villas ouvrières). Ils permettraient de saisir les démarches au projet, les représentations et le rôle que ces parcs et ces jardins ont joué dans la constitution et l’aménagement du paysage urbain dont nous avons hérité. L’intérêt d’une telle approche a été mis en lumière, plus particulièrement, par les interventions qui se sont succédées dans la matinée. Sylvie Salle (ENSA Paris Val-de-Seine) s’est concentrée, par exemple, sur la valeur paysagère, sociale et environnementale du système des parcs conçus per Frederick Law Olmsted à Boston dans la deuxième moitié du XIXe siècle. « Dispositif paysager » en même temps que « dispositif d’ingénierie environnementale », ce réseau vert joue encore aujourd’hui un rôle majeur dans les politiques écologiques de la métropole. Et cela grâce aussi à un élément qui a été au cœur de beaucoup de projets de cette époque : le bien être. C’est à dire la partie que les sensations agréables et le confort de l’individu jouent, hier comme aujourd’hui, dans la définition des objectifs des politiques urbaines environnementales. Ce concept si actuel, et qu’on ne s’attendrait pas à retrouver dans des textes du XIXe siècle, revient par ailleurs aussi dans les écrits théoriques d’art des jardins et dans les descriptions des espaces verdoyants parisiens du Second Empire, qui ont été l’objet de l’intervention de Chiara Santini. 

Une autre thématique commune à plusieurs interventions a été celle des savoirs et des savoir-faire impliqués dans l’aménagement de la nature urbaine : architectes, horticulteurs, jardiniers, paysagistes, ingénieurs. Il s’agit de compétences professionnelles dont les champs d’intervention ne sont pas encore bien définis, surtout pour le XIXe siècle, et dont la recherche comparatiste mériterait d’être développée davantage. Le rôle des ingénieurs, en Europe comme à l’international, a été plus particulièrement au cœur des contributions. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle ils sont les promoteurs de cette articulation entre technique et esthétique qui fait que souvent les jardins réalisés à cette époque s’intègrent encore harmonieusement au tissu urbain contemporain. En faisant appels à d’autres compétences professionnelles, en premier lieu les horticulteurs et les botanistes, ils élaborent des projets novateurs qui dévoilent un panorama de création très hétérogène. Analyser les formations et mettre en lumière la complexité des échanges qui ont permis la circulation hors de l’Europe des modèles de composition des espaces verts, aide à mieux lire les formes de la ville et la construction de son identité. Cette démarche a été illustrée, par exemple, par l’intervention de Abdelkrim Bitam (Université de Blida) qui a montré comment, dans le cas des villes algériennes de Tripasa et de Cherchell, les ingénieurs civils français ont superposé aux structures spatiales en place un tracé géométrique, systématique et bien adapté aux caractéristiques du site, qui aujourd’hui représente un héritage à redécouvrir et à valoriser dans le cadre des plans d’extension urbaine. Marta Enokibara (UNESP, Brésil) a exposé les premiers résultats d’une recherche nationale sur l’espace urbain de São Paulo entre le XIXe et le XXe siècles. En analysant le répertoire végétal des villes nées tout au long de la voie ferrée de l’ouest de l’Etat de São Paulo, elle a montré comment les compétences horticoles et les modèles paysagers européens ont participé à la création d’un nouveau paysage urbain. Celui-ci dans un premier temps s’est adapté aux palettes végétales et aux canons esthétiques étrangers et a ensuite donné lieu à des compositions originales, valorisant les sites et la flore autochtone. Claire Portal a éclairé, à travers l’exemple de Central Park et des Buttes-Chaumont (entre autres), l’actualité de la prise en compte de la géomorphologie des sites pour la valorisation des formes de la ville et pour les politiques écologiques contemporaines. 

Plus en général, la difficulté à se positionner face aux différentes lectures du concept de nature a été une problématique soulevée par la plupart des interventions et par le débat qui a suivi. En partant du principe que, de même que toute autre création, les parcs et les jardins urbains donnent corps à une certaine idée de la nature et de la société, à l’intérieur d’une civilisation et d’une époque donnée, comment lire et comment conserver le patrimoine vert que l’histoire nous a légué ? Comment résoudre la représentation dichotomique qui semble informer et opposer les concepts de nature et de ville ? Et par conséquent, quelle est la place que la nature, telle que véhiculée à travers d’un projet de paysage (qui est, à son tour le reflexe d’une époque et d’un contexte culturel précis) occupe, ou doit occuper, à l’intérieur de politiques de conservation du patrimoine ?
L’actualité de ces questions a été développée, dans le cadre des cas d’études traités, selon des différentes démarches, autant théoriques que techniques. Nicole Valois (Université de Montréal), par exemple, a mis en évidence, grâce aux résultats issus  d’un travail d’évaluation des valeurs paysagères du campus de l’université de Montréal, la « vision polysémique » de la nature urbaine qui oppose les paysagistes et les gestionnaires du patrimoine. Maria José de Azevedo Marcondes (Université d’Etat de Campinas, São Paulo), a proposé une réflexion sur le concept de la nature dans l’historiographie urbaine, en particulier dans les écrits de l’architecte Manfredo Tafuri de l’institut de d’architecture de l’Université de Venise. Sylvie Clarimont et Kildine Leichning (Université de Pau), enfin, ont présentés les atouts, mais aussi les enjeux politiques et les difficultés juridiques, liés à la création des Parcs Naturels Urbains (PNU) : des réalités de facto et en même temps des objets qui n’ont encore aucune existence juridique. 



Session 5 
Quelle nature en ville ? Regards sur la demande sociale et sur l'aménagement urbain,
par Roland Vidal  (ENSP de Versailles, r.vidal@versailles.ecole-paysage.fr)

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En s’interrogeant sur la demande sociale de nature en ville, les participants de la session 5 ont d’abord été conduits à interroger les deux mots-clés qui sont au centre de ce colloque : « nature » et « ville ». Deux questions principales ont donc traversé la session :
- De quelle nature parle-t-on lorsqu’on ne s’intéresse pas à la définir pour elle-même mais à travers les attentes que la société formule vis-à-vis d’elle ?
- De quelle manière la question de la « nature en ville » conduit-elle à s’interroger sur la « nature de la ville » elle-même ?
Cette dernière question, bien que concernant la plupart des interventions, a surtout été mise en évidence à travers le cas Bruxellois (Denef). Se préoccuper de la nature, à Bruxelles, impose de sortir des limites administratives habituelles et de dépasser les clivages. Le « Plan Nature » élaboré pour la région urbaine de Bruxelles-Capitale concerne en effet 135 communes, trois régions et, bien sûr, deux communautés, deux cultures, deux langues. La prise en compte de la nature permettra-t-elle d’aller vers un projet de territoire partagé et conçu à la bonne échelle ? Ce projet s’articulera-t-il avec les autres actions à l’œuvre sur l’aire urbaine bruxelloise ?
Ces questions, que l’on retrouve à des échelles différentes dans d’autres régions urbaines, sont indissociables de la définition même de ce que l’on propose d’appeler « nature urbaine ». Une première approche géographique, menée sur la région de Rouen, a permis de poser quelques éléments de définition à travers une tentative de cartographier la nature en milieu urbain (Hucy). Quantifier, mesurer, spatialiser… sont les préoccupations habituelles du géographe soucieux d’établir un « état des lieux » sur un sujet beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît. Un rapide retour sur l’histoire a permis d’amorcer cet éclairage :
La ville a d’abord été le lieu de l’artificialisation, de l’opposition à la nature, que l’on appelait plutôt le « sauvage », et qui était le territoire des loups et des brigands. Une nature qui faisait peur et vis-à-vis de laquelle la ville se définissait surtout comme l’espace ordonné, sécurisé. Ainsi définie, la nature est essentiellement ce qui échappe à la maîtrise de l’homme : le contraire de la ville. Désirer de la nature dans la ville est donc un retournement historique qui traduit sans doute l’émergence d’un mal-vivre urbain, communément exprimé sous la forme d’un « manque de nature ». On ne rêve plus, comme Alphonse Allais, d’installer les villes à la campagne, mais d’introduire la campagne dans la ville.
Cette campagne, d’ailleurs, est-elle le territoire de la nature ou plutôt celui de l’agriculture ? Il semble que les deux se confondent dans l’imaginaire collectif et que le désir d’agriculture ne soit qu’une variante du désir de nature. C’est en tout cas ce qui a été observé dans l’agglomération urbaine de Pau où l’introduction de nouvelles formes d’agriculture en milieu urbain s’inscrit dans une mise en scène paysagère dont l’objectif, bien plus qu’alimentaire, est surtout de renouer des liens entre monde rural et monde citadin (Douence).
Ce rapprochement, pour ne pas dire cette confusion, entre nature et agriculture ne fait que reposer la question : lorsqu’il s’agit du désir des citadins, de quelle nature parle-t-on ? Quelques gradients intéressants ont été proposés, entre nature sauvage, nature domestiquée et nature artificialisée ou, plus pragmatiquement, entre nature acceptée et nature refusée. Car il faut bien admettre qu’il existe aussi une nature indésirable, celle des blattes, des rats d’égout, du ténia ou d’Escherichia coli, pourtant composants, eux aussi, de la biodiversité… sans parler du chien du voisin et de ses déjections.
La nature désirée par les uns n’est en effet pas toujours celle désirée par les autres. Et les comportements guidés par le désir de nature peuvent aussi avoir, aux yeux de certains, des effets destructeurs sur la nature elle-même (Bourdeau-Lepage et Vidal). Il en est ainsi de ces pratiques qui conduisent des habitants des villes-centres à satisfaire leur quête de nature par cette « mobilité de compensation » qui consiste à partir régulièrement en week-end ou en vacances dans une résidence secondaire et qui se traduit par une empreinte écologique particulièrement élevée. Il en ainsi, également, de ceux qui pour se rapprocher de la nature choisissent de s’installer dans ces banlieues pavillonnaires qui contribuent beaucoup à l’étalement urbain, lui-même destructeur de nature.
La mise en concurrence des différentes manières de satisfaire son désir de nature apparaît aussi à l’intérieur de la ville lorsque se mêlent la pratique des espaces verts, toujours fortement demandée, le désir d’une nature « mise en réserve », pour la biodiversité, et un désir de jardinage qui s’avère souvent peu compatible avec l’espace public. Car si la nature apparaît comme une valeur positive unanimement défendue, les pratiques qu’elle inspire ne sont pas exemptes de conflits. En comparant les jardins partagés et les jardins privés dans la ville de Paris (Riboulot et Demailly), on constate que si tous participent à des degrés divers à la biodiversité urbaine, ils apparaissent surtout comme des manifestations de phénomènes d’appropriation qui, s’ils peuvent être moteurs de sociabilité –et donc d’urbanité–, dissimulent aussi des attitudes moins « urbaines » de gentrification voire de clubbisation.
La question pourrait sembler moins importante lorsque ces espaces appropriés le sont sur ce que l’on appelle des « délaissés urbains », espaces dont on peut légitimement considérer que le mieux que l’on puisse en faire est de les offrir à la nature (Prié). Mais ces délaissés sont avant tout des symptômes d’une urbanisation inefficace, désordonnée, et l’on pourrait aussi penser que la première chose à faire serait d’éviter de les générer et, lorsqu’ils sont là, de leur trouver une véritable vocation urbaine (comme du logement social, par exemple). La question de la place de la nature en ville ne peut en effet se réduire à une stratégie qui consisterait à « boucher les trous » d’une ville mal faite, inutilement émiettée.
La question de la nature en ville doit plutôt passer par une meilleure connaissance des attentes sociales et par la reconnaissance du fait que ces attentes ne sont pas uniformes mais dépendent de nombreux facteurs, qu’ils soient individuels ou qu’ils relèvent de différences culturelles. On a vu, par exemple, que pour les habitants de Göteberg, en Suède, et plus généralement pour les cultures scandinaves, l’accès à la nature est un droit coutumier considéré comme imprescriptible (Girault). Avec plus de 300 m2 d’espaces verts par habitant, on pourrait penser que le désir de nature est largement satisfait à Göteberg, et pourtant, la ville n’est pas à l’abri des conflits d’usage liés au fait que, ici aussi, les pratiques de nature ne sont pas homogènes et peuvent parfois s’avérer incompatibles (entre le repos et le sport, par exemple). Répondre aux attentes passe alors par des décisions politiques que peu de villes d’Europe du sud pourraient s’offrir, comme garantir à chaque citoyen la présence d’un espace vert à moins de 300 mètres de chez lui.
Dans les régions urbaines où les espaces ouverts sont plus rares, les conflits peuvent s’avérer plus aigus, et aussi plus révélateurs de la complexité de la question. L’analyse des controverses opposant différents acteurs a montré, dans l’agglomération dijonnaise, comment chacun des mouvements citoyens impliqués peut se revendiquer « plus vert que vert » pour défendre ses propres intérêts lorsqu’ils sont contraires à ceux des autres (Doidy et Dumont). S’opposent ainsi une mouvance libertaire, qui revendique un droit d’usage d’inspiration proche des débuts de la Green Guerrilla new-yorkaise, un groupe défendant les jardins familiaux d’inspiration beaucoup plus traditionnelle, et une tendance proche de la précédente mais qui défend surtout la valeur patrimoniale des vignes centenaires. Toutes ces mouvances, après s’être opposées les unes aux autres, se rassemblent pour s’opposer à un projet, émanant cette fois des autorités municipales, d’implantation d’un éco-quartier. Dans l’ensemble de ces relations conflictuelles, on remarque que chacun des acteurs se positionne en défenseur de la nature.
Une valeur que l’on suppose communément partagée n’est donc pas la garantie d’un consensus territorial.
Répondre d’une façon durable et équitable à la demande sociale de nature par des aménagements urbains qui échappent au risque de satisfaire les uns au détriment des autres, demandera d’abord d’éclairer les décideurs sur ce qu’est réellement ce désir de nature. Et si l’on peut proposer une conclusion à cette session riche de débats diversifiés, c’est qu’il importe aujourd’hui de sortir de ce décalage qui persiste entre une idée de nature simpliste –ce qui échappe à la maîtrise de l’homme– et la réalité d’une demande sociale bien plus polysémique qu’elle n’y paraît.
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Session 6 
Nature/Ville : découpage, couplage, découplage
par Anthony Pecqueux 
(CR au Cnrs, laboratoire CRESSON (UMR 1563), Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, anthony.pecqueux@grenoble.archi.fr

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Les différentes communications de cette session consacrée de manière générale aux relations nature / ville, ainsi que les débats qui ont émaillé la journée, ont contribué à faire émerger plusieurs questions transverses des plus intéressantes, car à même d’interroger aussi bien les chercheurs en sciences sociales de l’urbain que les praticiens de la ville contemporaine : urbanistes, architectes, paysagistes, etc., mais aussi – nous y reviendrons – les « simples citoyens ».

1/ La première question transverse peut être qualifiée de « linguistique » : elle a trait à ce qui fait sens et/ou référence. Ce n’est bien évidemment pas « qu’ »une question linguistique : elle recouvre un enjeu de l’ordre de l’institution d’un commun. Un terme comme celui de « paysage » (C. Chomorat-Ruiz), un autre tel que « monumentalité » (Y. Chalas), renvoient à des expériences sinon partagées, du moins qui demandent un minimum d’accord ; il y est en effet question de ce qui fait repère pour une collectivité. De tels repères sont utiles pour les indications de pérégrination (cheminement, rendez-vous, etc.) par exemple ; ils sont indispensables pour tout ce qui a trait au commun, à ce qui fait communauté (expressions que nous préférons à « identités »).
Dans ce cadre, les dynamiques contemporaines (« d’urbanisation de la nature » comme de « ruralisation de l’urbain », Y. Chalas) provoquent des glissements quant à ce qui fait sens ou référence pour une communauté.

2/ Une deuxième question commune est celle de l’empowerment : cette notion américaine décrit, à côté de la traditionnelle logique d’initiative de l’action du haut vers le bas (top/down), une autre exactement inverse, bottom/up. Bref : la possibilité que ce ne soient plus simplement les « grands » qui décident, impulsent, etc., des initiatives, mais aussi les « petits ». Cette dynamique est évidemment étroitement liée à l’exigence participative qui s’immisce de plus en plus dans les démocraties représentatives depuis quelques années. Du côté des praticiens de la ville, cette revendication (trop souvent identifiée ou résumée à de la « consultation ») n’est encore que faiblement et très diversement prise en compte. Il émerge tout de même dans plusieurs projets récents l’idée d’une « expertise usagère », qui ne serait pas incidente mais qui serait au contraire centrale dans tout le processus de réalisation, de mise en œuvre du projet (en amont comme en aval). 
Toujours est-il que l’importance croissante des initiatives habitantes et la nécessité des travaux de recherche sur ces questions de s’en faire l’écho (au lieu de rester focalisés – comme cela reste encore souvent le cas – sur la figure de l’artiste, architecte, paysagiste, etc., et sur l’analyse de ses intentions…) ont été soulevés par de nombreuses communications, notamment Y. Chalas, N. Mathieu et A. Varcin.

3/ Enfin, la troisième et dernière question transverse aux débats de la journée concerne le type de finalité poursuivie par ces diverses initiatives : recueillir et/ou favoriser les initiatives habitantes, enquêter sur l’institution d’un commun urbain, certes, mais pourquoi ? D’autant plus quand il est question de nature urbaine ?
C’est ici la question, dite « hédoniste » par Y. Chalas ou « éthique » chez N. Mathieu, mais que l’on qualifiera plus généralement de « symbiotique » : c’est-à-dire la recherche d’un rapport harmonieux entre habitants et environnement naturel. Un tel rapport, évoqué dans la plupart des communications comme couplage souhaitable, est central dans certaines conceptions non occidentales des relations nature / ville, tel le Fenshui (C. Fries).
Rechercher une harmonie entre habitants et environnement naturel en ville suppose de ne plus parler d’un rapport de maîtrise ou de hiérarchie entre ces deux éléments (bien que cela puisse être encore présent dans certains projets, comme B. Sampaolesi l’a montré), mais de chercher les conditions d’une égalisation des statuts. En ce sens, plusieurs contributeurs se sont tournés à raison vers les travaux de Philippe Descola, ou encore de Bruno Latour. Il est par contre étonnant que n’aient été guère évoqués les pragmatistes américains du début du XXème siècle, John Dewey en tête sur ce sujet. En effet, son concept central d’expérience fournit de sérieuses pistes pour penser un tel rapport, dans la mesure où l’expérience correspond à une interaction entre un organisme et un environnement, qui s’actualise non dans mais selon un environnement. Une telle conception, qui distribue l’action comme la passion entre organisme et environnement selon les phases de l’expérience, jette donc les fondements d’une égalisation possible entre eux et rend possible l’idée d’un rapport sinon symbiotique, du moins harmonieux.
L’idée d’indétermination (ou de non-finitude) qu’A. Varcin décèle dans les projets paysagers récents les plus novateurs serait une belle illustration du processus global : des projets faisant place à la nature en ville, avec les habitants, dont l’action et/ou les usages concourraient à les « finir » provisoirement (une finition continuée, en quelque sorte), et qui en ce sens contribueraient à les ériger en référence commune.

Dans ce cadre, et pour finir, il ne faut pas négliger ce qui à trait à l’intersensorialité : en effet, si les communications de cette session (mais aussi du colloque en général) relèvent presque exclusivement d’une saisie visuelle de la nature urbaine, il n’est pas inutile de souligner qu’une relation harmonieuse entre habitants et nature urbaine ne peut être que le résultat d’une relation par laquelle les habitants s’engagent avec la nature par leurs diverses facultés sensorielles. Y. Chalas le rappelait dans sa communication, en opposant une relation basée sur une proximité quotidienne et intégrale à certains usages distants hérités des parcs urbains (et leurs « pelouses interdites » et autres défenses d’user des sens). Si la saisie paysagère (C. Chomarat-Ruiz) est évidemment essentiellement visuelle, l’enjeu présenté ci-dessus d’un rapport harmonieux à la nature urbaine se doit de combiner une relation aussi bien auditive que tactile et olfactive, voire gustative avec les problématiques d’agriculture et de jardins urbains.


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Colloque international  
Nature Urbaine en Projets
Vers une nouvelle alliance entre nature et ville

7 et 8 février 2013
Maison de l'Architecture
148 rue du faubourg Saint-Martin, 75 010 PARIS 

PROGRAMME

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APPEL À COMMUNICATIONS


Nature urbaine en projets.
Vers une nouvelle alliance entre nature et ville.
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